L'Univers
de Yamato
Les influences de Leiji Matsumoto (page 4 sur 5): La mythologie celtique dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto

Leiji Matsumoto est un auteur à l'œuvre foisonnante, souvent inégale, toujours passionnante. Son univers n'a jamais cessé de se développer, et continue d'étonner tant il reflète une inspiration pluriculturelle. On connaît déjà la profonde influence qu'ont exercé les légendes scandinaves et germaniques sur le mangaka, avec des œuvres comme Harlock Saga - l'Anneau des Nibelungen qui en sont directement inspirées. Cependant, quiconque connaît les anciennes légendes celtiques ne peut qu'être soufflé par les parallèles qui existent entre cette mythologie et les thèmes développés par Matsumoto...


Généralités sur les légendes celtiques

Tout d'abord, il convient de rappeler ce que nous appelons "mythologie celtique" dans cet article. Les celtes étaient dispersés dans toute l'Europe occidentale, après avoir émigrés depuis leur site d'origine qu'on estime quelque part sur les rivages de la Mer du Nord. On pense que la patrie originelle des Celtes fut en partie submergée par une brusque montée des eaux1 (un phénomène encore courant aux Pays-Bas.) Désormais apatrides, les celtes se scindèrent en différents peuples : Pictes, Gaëls, Gaulois... et même Italiotes (les ancêtres des Romains)

la mythologie celtique par Julien Pirou

Les légendes celtiques inspirèrent beaucoup de légendes médiévales, après être passées sous la moulinette de la christianisation. De même, beaucoup de personnages plus ou moins historiques sont entrés dans la légende, à tel point qu'il est parfois impossible d'attester de leur existence réelle... L'exemple le plus célèbre serait le fameux roi Arthur qui aurait pu être, au choix, un chef breton, un centurion romain, voire l'amalgame de plusieurs personnages historiques.

C'est pour ces raisons que notre acceptation de la notion de "mythologie celtique" sera assez large, n'hésitant pas à sortir du cadre strictement celtique (c'est à dire antérieur à la christianisation de la Grande-Bretagne) pour toucher les légendes d'inspiration celtique.

La première chose à retenir au sujet des celtes, et nous l'avons déjà vu, est leur tendance à transformer très rapidement l'histoire en mythe. La seconde, c'est leur conception très particulière de la narration : pour les celtes, la fin du voyage compte moins que le voyage lui-même (d'une manière assez amusante, ce sont les propres mots employés par un critique anglo-saxon au sujet de Galaxy Express 999...) Ce qui en découle automatiquement, c'est l'issue souvent tragique des quêtes.

"Trois fois plein le navire Prytwenn, nous partîmes avec Arthur,
Sauf sept, nul ne revint de Kaer Kolud, la citadelle obscure."

Ainsi chante le poète Taliesin dans les Dépouilles de l'Abîme.

Une aventure qui se termine mal est une réussite, spirituellement parlant, pour le celte. Mais quelle que soit l'étendue de la tragédie, il y aura TOUJOURS au moins un survivant pour le raconter. Lors de la nuit des Longs Couteaux, où le chef saxon Hengist fait massacrer les chefs bretons, l'un d'eux parvient à s'enfuir non sans avoir abattu plus de soixante-dix assaillants avec un bout de bois2 (!) Ce type de personnage est courant chez Matsumoto : l'énigmatique Miimé d'Albator 78, seule survivante de sa planète, ou Marina Oki, de Cosmowarrior Zero. Même le jeune Tadashi Daiba est idéologiquement parlant le seul "rescapé" (si l'on excepte l'équipage de l'Arcadia) de la corruption de la Terre, et il échappera même de justesse au même sort que son malheureux père (la vengeance restant un ressort classique pour se lancer à l'aventure).

Enfin, dernier point et non des moindres, les celtes ont inventé le concept de l'Eternel Retour. En d'autres termes, leurs personnages reviennent indéfiniment à différentes époques, dans différentes légendes. Par exemple, les chevaliers d'Arthur sont tous des avatars de dieux celtiques : ainsi Lancelot du Lac (de son nom celtique Llwch Lleenleawg) est une incarnation du dieu Lug ("Llwch"), qui, par déformation, a par la suite été confondu avec "Lake"... Doit-on préciser que l'arme de Lug était la lance ? Ce concept d'Eternel Retour, nous le retrouvons très précisément chez Matsumoto avec le fameux Toki No Wa ("la boucle du temps"), qui fait se recroiser éternellement les mêmes personnages dans de nouvelles aventures à des époques différentes...


Un monde féminin

L'une des particularités du monde celtique est l'importance centrale qu'il donnait aux femmes. Sans aller jusqu'au matriarcat, les celtes avaient construit une société relativement égalitaire entre les deux sexes, où il n'était pas rare que les femmes dirigent (la gauloise Boadicée, par exemple). Les celtes avaient un profond respect pour la femme, et les divinités les plus importantes de leur panthéon étaient féminines (la déesse-mère Dana, la déesse de la guerre Morrigane...) De ce point de vue, la christianisation fut une spectaculaire régression3.

Promethium (Galaxy Express 999)

Il n'est donc pas étonnant que les légendes celtiques regorgent, à l'image des histoires de Matsumoto, de femmes fortes et au caractère bien trempé. Par exemple la célèbre Reine Mebd (parfois appelée Mab, ou Maève), assimilée aux Tuatha Dé Danann4 trouve-t-elle écho chez Matsumoto dans des personnages tels que Lafressia (Sylvidra) ou Promethium de Galaxy Express. Mebd, en effet, était une souveraine stricte et autoritaire, qui avait pris un tel ascendant sur son époux que celui-ci lui déclara la guerre !

Mais la plupart des femmes des légendes celtiques sont aussi des personnages féeriques et évanescents. Miimé évoque ces femmes revenues de l'Autre-Monde, reconnaissables par leur mutisme (parfois symbolisé par l'absence pure et simple de bouche...) Et les Sylvidres, femmes végétales, enjôleuses et néanmoins meurtrières, évoquent les esprits de la forêt tant redoutés par les celtes (la forêt, comme la mer, étant la porte de l'Autre-Monde), ainsi que le célèbre poème du Cadd Goddeu (La Bataille des Arbrisseaux) où deux armées se transforment en plantes et en arbres pour livrer bataille.

Quant à Maetel, initiatrice de Tetsuro, aux motivations ambiguës, son nom rappelle irrésistiblement Maève. Maetel est une femme de l'Autre-Monde, une fée qui met Tetsuro sur les rails de sa destinée. Mais comme toutes les fées, elle est aussi belle que dangereuse et trompeuse... Et sa sœur Emeraldas, femme guerrière, elle tient de Gwenwhyfar (la Guenièvre des romans courtois) qui, dans les légendes les plus anciennes, est une princesse Picte indomptable. Mais Emeraldas rappelle aussi Perceval, tel qu'il apparaît dans certaines versions (dont René Barjavel se fait l'écho dans son Enchanteur) : rentrant vaincu de l'épreuve du Graal, Perceval découvre que sa promise s'est suicidée, persuadée de la mort du chevalier. Dès lors, Perceval n'aura de cesse de parcourir le monde dans l'espoir de la retrouver. De même, Emeraldas errera dans l'espace à la recherche de Tochirô, son amour perdu... On pourrait commenter à l'infini cette inversion des rôles, mais on se contera de ceci : dans le couple formé par Tochirô et Emeraldas, c'est cette dernière qui tient celui du chevalier.


La quête du Graal

Le Graal n'a pas toujours été la coupe contenant le sang du Christ. Dans les légendes celtes d'origine, il est question d'un Chaudron Noir capable de ressusciter les morts. Cette légende s'est "adaptée" à la christianisation en faisant du chaudron un calice. Mais le Graal, originellement, n'est pas un objet tangible : c'est la clé, non pas de l'immortalité au sens strict (n'en déplaise au bon docteur Jones) mais de la re-fertilisation d'un pays qui dépérit lentement. Ce qui, en réalité, est aussi une forme d'immortalité puisqu'il s'agit ni plus ni moins de perpétuer la lignée. Ainsi, le gardien du Graal, Pellès le Roi Pêcheur, n'est qu'une des nombreuses formes du héros celtique Pwyll, Maître de l'Abîme (c'est-à-dire de l'Autre Monde), selon le fameux principe de l'Eternel Retour...

Devoir aller au-delà de la mort pour trouver le secret de la vie : telle est l'essence même de la quête du Graal. A l'origine, c'est un jeune chevalier du nom de Peredur qui est le vainqueur de l'épreuve. Le départ de Peredur de sa forêt, où il vit seul avec sa mère, coïncide avec la mort de celle-ci. Lancé à la recherche du Graal à travers des terres stériles, Peredur est une première fois confronté au Graal mais rate l'épreuve : en effet, une mystérieuse jeune femme (en réalité Hélaine, la propre fille de Pellès) s'approche, portant quelque chose dissimulé sous un voile. Peredur, trop timide, n'ose pas demander à voir sous le voile alors que c'était là le Graal, l'objet de sa quête... Ayant rassemblé ses forces, une seconde chance lui est donnée : triomphant de son inhibition, Peredur soulève le voile : le mal qui rongeait le pays est chassé, un nouveau cycle de vie commence. Il apprend alors que Pellès n'était autre que son oncle, lequel meurt en ayant transmis le secret de la vie à une nouvelle génération. Le jeune chevalier est devenu un adulte5.

Excalibur (John Boorman, 1981)

La quête du Graal est très visible chez Matsumoto avec Galaxy Express 999. Un jeune garçon, Tetsuro, est élevé par sa mère dans une région reculée. Son désir de se rendre à la ville va provoquer la mort de celle-ci. Désormais à la recherche de l'immortalité, il part vers la planète où les hommes se font mécaniser. Il se fait accompagner dans son voyage par une mystérieuse jeune femme, Maetel, dont les intentions restent mystérieuses. Arrivé à destination, il est confronté à la reine Promethium, la mère de Maetel, et à un choix cornélien : l'immortalité – mais la stérilité – des machines, où la fertilité – mais la mortalité – de l'humanité. Sans le savoir, son choix conditionnera le futur de l'univers tout entier, car il représente la nouvelle génération... Maetel est donc ici l'équivalent d'Hélaine : elle donne des indices à Tetsuro tout au long du voyage, mais sans jamais essayer de lui forcer la main. Elle garde le Graal voilé : c'est à Tetsuro de prendre la décision finale. A noter que dans le film Adieu Galaxy Express, le personnage de Faust, qui se révèle être le père de Tetsuro, vient compléter la figure de Pellès par son lien de parenté avec le héros. D'ailleurs Faust, vaincu par Tetsuro, se laissera mourir...

Cette quête du Graal se retrouve également dans les aventures de notre pirate préféré, Harlock, époque Mûgen Kido SSX (Albator 84). La quête de la Déesse Dorée (Dana ?), clé d'une planète idéale (c'est-à-dire un monde fertile, à l'opposé de la Terre devenue, suite à l'invasion des Illumidas, un monde stérile), est une autre vision du même thème. D'ailleurs, toutes les aventures d'Harlock commencent par le rassemblement de son équipage, tel Arthur rassemblant ses chevaliers. Tiré par les cheveux ? Dans les légendes arthuriennes, le magicien Myrdhin (Merlin) reçoit des Tuatha Dé Danann l'épée Kaletfwlch ("dur-acier", c'est à dire Escalibur en latin...) et attendra un guerrier digne de l'utiliser pour délivrer la Bretagne du joug saxon. Dans le film Waga Seishun no Arcadia (L'Atlantis de ma Jeunesse), Tochirô construira l'Arcadia et attendra de trouver l'homme digne de le piloter et de délivrer la Terre du joug des Illumidas...


Quelques mots pour finir...

Cet article n'a pour but que de montrer les parallèles les plus intéressants qu'il est possible de faire entre les œuvres de Leiji Matsumoto et ces mythes celtiques qui font désormais partie de l'imaginaire collectif occidental, à tel point qu'ils continuent d'inspirer quantité de livres, de BD, de films... Il faut aussi rappeler que les celtes étaient eux-mêmes descendants d'une pré-civilisation indo-européenne et que leurs propres légendes sont sans doute des mutations de mythes encore plus anciens... Ce qui explique ainsi les parallèles qu'il est possible de faire avec les mythologies scandinaves issues d'une même souche et qui inspireront à Wagner sa Tétralogie (elle s'inspire en effet d'un récit encore plus ancien intitulé le Chant des Nibelungen), laquelle inspirera à son tour Matsumoto ! La boucle est bouclée...

Et c'est, sans doute, ce qui permet à Matsumoto de fasciner des cultures à priori très différentes de la culture japonaise : car le mangaka a su retrouver les sources mêmes des mythes fondateurs de l'humanité pour raconter ses propres histoires. Les œuvres du mangaka sont marquées par cet esprit chevaleresque, celui des grandes épopées. Ses héros tiennent autant des samouraïs japonais que des chevaliers du Graal... L'univers de Matsumoto n'appartient plus à la Science-Fiction, ni même à la fiction : il est entré dans le domaine mythologique, immémorial et, par conséquent, inoubliable.


Captain Marzhin (http://triple9.free.fr)

1 On pense d'ailleurs que c'est le récit de leur exode qui allait inspirer la légende de l'engloutissement de la cité d'Ys, ainsi qu'à Platon son mythe de l'Atantide.
2 Qui sera surpris, alors, qu'Albator et ses quarante-deux hommes d'équipage soient parvenus à défaire une armada de plusieurs millions de Sylvidres ?
3 D'ailleurs, les habitants de Grande-Bretagne furent peu enclins à abandonner leurs habitudes puisqu'ils n'hésitèrent pas dans un premier temps à accepter des femmes dans leur clergé...
4 "La tribu de Dana", aussi appelés le "beau peuple". Habitants de l'Autre-Monde, ils sont les pendants celtiques des Alves scandinaves (les fameux Elfes de Tolkien...) mais en plus sinistres. Ils restent très présents, aujourd'hui encore, dans le folklore irlandais.
5 Dans la version christianisée de la légende, le jeune chevalier a été divisé en trois personnages distincts (une trinité...) : Perceval et Bohort, qui échoueront, et Galaad, qui se révélera le fils d'Hélaine et qui triomphera de l'épreuve au prix de sa vie, étant lui-même une figure christique (les celtes n'ont pas hésité à appliquer leur principe d'Eternel Retour à la nouvelle religion...)

~ Article issu du projet de Webzine Eternal Arcadia ~
Eternal Arcadia

Le projet n'ayant malheureusement pas pu être finalisé, les articles rédigés en 2004 pour ce Webzine ont été intégrés aux sites du Webring LEIJI francophone :
>> Animographie de KOMATSUBARA Kazuo par Captain Jack (version enrichie en 2006)
>> Mon nom est "Personne" - parallèle entre le capitaine Nemo et Albator par Captain Marzhin
>> La mythologie celtique dans l'œuvre de Leiji Matsumoto par Captain Marzhin
>> Leiji et l'Art nouveau par CPZ


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Page modifiée le 08/01/2012 16:35
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