Les influences de Leiji Matsumoto (page 2 sur 5): Mon nom est "Personne" - parallèle entre le capitaine Nemo et Albator
"La mer est tout ! C'est le vaste réservoir de la nature, où frémit
l'infini mouvement de la vie, et qui échappe à la tyrannie des hommes ! Là
seulement est l'indépendance ! Là je suis libre !"
"Cet Indien est du pays des opprimés, et je suis, je serai, jusqu'à mon
dernier souffle, de ce pays-là !"
20 000 Lieues sous les mers, Jules Verne
"J'erre dans le vaste océan de l'espace, cette mer sans lendemain que je
parcourrai jusqu'au moment où je rendrai mon dernier souffle ! Je vis en
homme libre sous ma bannière, la bannière de la liberté !"
Capitaine Albator, Leiji Matsumoto
De tous les personnages crées par Jules Verne tout au long de sa vie, peu
nombreux sont ceux qui peuvent se vanter d'avoir marqué les esprits comme le
Capitaine Nemo. Bien sûr, on citera Phileas Fogg, Robur ou Michel Strogoff.
Mais Nemo est à part. Car Nemo est un personnage atypique, magnifique, d'une
beauté et d'une complexité peu commune. Non, Nemo ne répond à aucun
classement, ni bon ni mauvais, il ne rend de compte à nul autre que son
mythique navire sous-marin, le Nautilus, et à son équipage. Nemo, tourmenté,
misanthrope, dévoré par la haine et paradoxalement profondément humaniste.
Personnage monolithique et contradictoire, il occulte totalement les
prétendus héros de
20 000 Lieues sous les Mers. Sa grande force, ce qui lui
a donné cette place si particulière dans le coeur des lecteurs du monde
entier, c'est son incroyable humanité, qui en fait un personnage plus
vivant, plus réel que la plupart des héros de fiction.
Mais qui est ce Capitaine Nemo ? Le roman de Jules Verne ne donne que peu
d'informations sur son identité. Nemo, en latin, signifie "personne", le nom
donné par Ulysse au cyclope Polyphème dans
l'Odyssée d'Homère. On sait qu'il
a étudié à Londres, à Paris et à New York, et qu'il a conçu le Nautilus dans
le plus grand secret. Le capitaine a abandonné son véritable nom, sa patrie,
ses origines, pour se réfugier au fond des mers avec son équipage, composé
de parias et d'opprimés venus des quatre coins du monde, désormais unis sous
une nouvelle bannière, un pavillon noir frappé de la lettre "N", avec un
langage commun connu d'eux seuls, et une foi inébranlable en leur capitaine.
Ils sont "personne" aux yeux du monde, des ombres, des fantômes morts depuis
longtemps. Dans le monde du silence, loin de la fureur et de l'injustice de
la civilisation, ils sont libres.
Tout au long du roman, Nemo affiche un détachement froid vis-à-vis des
évènements de la surface, et seul la mort d'un de ses marins parvient à lui
arracher quelques traces d'émotion, des larmes de chagrin autant que
d'amertume. Petit à petit, on le découvre venant en aide aux opprimés et
aux peuples luttant pour leur indépendance, gagnant la sympathie du lecteur
et entretenant le mystère entourant le passé du capitaine. Pourquoi un homme
qui prétend avoir renié la civilisation humaine continue-t-il de lutter en
secret contre la guerre et l'injustice ? Puis c'est une nouvelle facette du
personnage qui se révèle : celle d'un homme blessé au plus profond de son
âme par une tragédie, prêt à plonger à tout instant dans la folie qu'est la
vengeance. Car voilà le Nautilus devenu machine de guerre et le scientifique
pacifiste devenu fou furieux. Aveuglé par sa haine, Nemo lance son
submersible contre un navire de guerre dont la nation est tue, éperonnant le
bâtiment et condamnant tout son équipage à une mort certaine. Puis il
s'effondre en larmes devant un portrait représentant son épouse et leurs
deux enfants, depuis longtemps disparus...
Le passé de Nemo sera finalement révélé dans un autre roman de Jules
Verne,
l'Ile Mystérieuse, qui se déroule à l'époque de la guerre de
Sécession. Le Nautilus est alors immobilisé dans une crique sous-marine, et
Nemo seul à son bord. Le reste de son équipage est mort depuis longtemps, et
lui-même vit ses derniers instants. Venu en aide aux naufragés de l'île
baptisée Lincoln, Nemo leur racontera son histoire. Celle d'un jeune noble
hindou qui voit son pays envahi par les armées britanniques, et qui assiste
impuissant au massacre de sa famille. Avec une poignée de réfugiés, il
partira noyer sa douleur dans les fonds sous-marins et construira le
Nautilus, submersible révolutionnaire qui les mettra à l'abri de la guerre.
Ainsi s'expliquent à la fois son désir de vivre loin de la civilisation et
sa haine dévorante de tout navire portant le drapeau britannique, mais aussi
les raisons qui le poussent à aider les opprimés de tous les pays. Avant de
s'éteindre, Nemo aura retrouvé foi en l'humanité en apprenant la guerre pour
l'abolition de l'esclavage. Sa mort sera accompagnée par la dislocation de
l'île Lincoln et l'engloutissement du Nautilus.
Cette rapide présentation du personnage aura permis de se rendre compte
des nombreux points communs qui l'unissent au capitaine Albator de Leiji
Matsumoto. Outre le fait que l'Arcadia ("le pays idéal", à l'image des fonds
marins pour Nemo) est très inspiré des sous-marins au point de vue du
design, qu'Albator utilise fréquemment la tactique de l'éperonnage, et que
la baie vitrée de sa cabine évoque irrésistiblement les fenêtres du Nautilus
à travers lesquelles Nemo observe la mer, on constate que la personnalité
des deux capitaines est très proche : taciturnes, souvent froids et
détachés, tourmentés, apatrides volontaires de civilisations qui les
dégoûtent, mélomanes (Albator s'isole dans sa cabine pour écouter la harpe
de Miimé, Nemo libère sa folie et sa douleur en jouant de l'orgue), d'une
fidélité sans faille à leurs compagnons... D'ailleurs, le film
Waga Seishun no
Arcadia révèle un passé d'Albator très proche de celui de Nemo, puisqu'il
voit la femme qu'il aime se faire tuer par les Illumidas qui envahissent la
Terre. La différence principale réside dans le fait qu'Albator est un
personnage plus positif que Nemo : il a appris à pardonner et a gardé une
foi inébranlable dans le genre humain. A noter que dans la récente série
Endless Odyssey, où on retrouve un Albator qu'on devine plus âgé, le
personnage affiche une amertume et une désillusion qui le rapprochent de son
homologue sous-marin.
C'est finalement leur soif d'indépendance et la force de leurs convictions
qui leur donne ce charisme, cette présence inoubliable, et qui en font des
personnages si fascinants. Seuls contre tous, leurs combats respectifs les
mènent parfois au bord du gouffre de la folie, mais ils poursuivent leur
route à travers l'inconnu, soutenus par des compagnons fidèles et
incorruptibles, à la recherche d'eux-mêmes. Car, comme tous les héros
mythologiques, leur lutte n'est pas une affaire de bons sentiments, mais
l'attente d'un signe que le combat n'était pas vain. Un signe que l'humanité
mérite encore qu'on croie en elle.
Page modifiée le 08/01/2012 16:35