L'Univers
de Yamato
Réflexions autour de Yamato (page 5 sur 6): Animentary - Ketsudan

Animentary - Ketsudan
Animentaire - Décision
アニメンタリー決断
1971


Animentary - Ketsudan

Vise haut
Utilise ta tête
Vide toi de tes soucis
Si tu es un homme
Rire ou pleurer
A toi de décider
Ne t'enorgueillis pas de la victoire
Ne pleure pas dans la défaite
Un homme ne montre pas ses larmes
(Chant militaire - Animentary Ketsudan)

Une nouvelle fois, ce ne sera pas de Uchû Senkan Yamato dont il sera question ici, mais d'une oeuvre qui représente pour cette dernière, un écho, traduit par la sensibilisation au passé militaire et acteur de la Seconde Guerre mondiale.
C'est donc, non pas par passion militaire, loin de là, nous le précisons encore ici, mais bien avec le désir d'éclairer au mieux l'Histoire de cette terrible période dans l'Histoire de l'animation japonaise que nous vous proposons ce texte.

La série qui nous intéresse céans à pour nom Animentary - Ketsudan. Animentary étant la contraction de Animentaire pour Documentaire d'Animation. Elle fut diffusée du 3 avril 1971 au 18 septembre suivant, le samedi de 19h30 à 20h00 sur Nippon TV, cumulant 25 épisodes. Elle fut donc dispensée sur le petit écran au moment où les premières ébauches du projet Yamato prenaient quelques formes. A cet égard, c'est également sur Nippon TV que sera diffusée la première série Yamato.

0-sen Hayato
0-sen Hayato

Avant de poursuivre, on notera que le sujet de la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement celui de la Guerre du Pacifique, avait déjà été traité sept ans plus tôt par le média de l'animation japonaise télévisée, certes sous la forme d'une fiction, mais qui n'en avait pas moins de grandes qualités historiques. Ainsi, après quelques manga qui avaient mis en scène cette guerre, le conflit fut traité pour la première fois sous la forme de l'anime à partir du mardi 21 janvier 1964 par le biais de Fuji TV. Il s'agissait de 0-sen Hayato (38 épisodes), adaptant le manga de TSUJI Naoki (Tiger Mask), dont l'action se déroulait de 1942 à 1943. Cette série, produite par le studio P Production, contait les aventures d'un escadron de l'armée de l'air japonaise où officiait un jeune pilote, Hayato Azuma, descendant du clan des ninja de Iga. Pouvant s'apparenter à la série américaine des Têtes Brûlées (Baa Baa Black Sheep, 1976), son périmètre d'animation se concentrait sur les évènements liés aux manoeuvres aériennes, mais s'intéressait également aux personnalités différentes de ses protagonistes, certains étant plus enclin à tuer que d'autres.

Animentary - Ketsudan

Comme la traduction du titre l'indique Animentaire - Décision, cette série d'animation n'est en rien une série de fiction, mais bien une série de documentaires retraçant les divers grands évènements de la Guerre du Pacifique ayant opposé l'un des pays de l'Axe, le Japon, aux forces militaires Alliées, les Etats-Unis, l'Angleterre, l'Australie et quelques autres. Les scénarii s'inscrivaient dans une forme didactique, respectant les faits historiques, tout en ajoutant aux dialogues quelques éléments de mise en scène originale, telle une conversation entre un supérieur et ses soldats, montrant aux travers de leurs paroles "l'héroïsme" qui en découlait, et cela aussi bien pour des anglais que pour des japonais. On pourrait par ailleurs ajouter que la forme adoptée se rapprochait quelque peu de celle utilisée un an plus tôt par Richard Fleischer et Fukazaku Kenji sur Tora Tora Tora.

Ainsi, tout au long des épisodes, nous sera relatée l'Histoire de la Guerre du Pacifique, de son début le 8 décembre 1941 avec l'attaque de Pearl Harbor (1er épisode), à sa fin le 15 août 1945 (25ème épisode). Entre les deux, nombre d'opérations militaires alors opérées seront retracées comme la bataille de Midway en juin 1942 (2ème et 3ème épisode) relatant après la première aventure, la première mésaventure de la marine japonaise, puis l'occupation de la Malaisie (4ème épisode), la prise aux anglais de Singapour en février 1942 (5ème épisode), la prise de Hong Kong (6ème épisode), les batailles en mer de Malaisie (7ème épisode), la bataille de la Mer de Corail en mai 1942 (8ème épisode), l'invasion des l'îles de Java, Philippines et Batam (9ème, 10ème et 11ème épisode), les manoeuvres du sous-marin I-168 (12ème épisode), puis les batailles des îles Salomon dont Guadalcanal entre août 1942 et février 1943, et qui mettra fin à l'expansionnisme japonais (13ème épisode). Le 14ème épisode s'intéressait plus particulièrement à un héros de l'aviation japonaise, le lieutenant colonel Kato Tateo (1903-1942) et de son escadron de Faucons Pèlerins (Ki-43, Hayabusa). Le cinéma, de par la Toho, s'appropriera très tôt ce personnage, dès 1943, dans Kato Hayabusa Sentotai (Kato's Perigrine Falcon Squadron) réalisé par Yamamoto Kajiro (maître de Kurosawa), assisté de Honda Ishirô, avec des effets spéciaux de Tsuburaya Eiji (Godzilla, Ultraman), et interprété par les acteurs Fujita Susumu et Shimura Takeshi. Suivront les raids aériens américains sur les bases japonaises de Rabaul, sur l'île de la Nouvelle-Bretagne (15ème épisode), le retrait des troupes japonaises, le 8 juin 1943, de l'île de Kiska dans les Aléoutiennes (16ème épisode), la naissance du premier corps de Kamikaze en 1944 (17ème épisode), la mort de l'Amiral Yamamoto le 18 avril 1943, après avoir pris son envol de Rabaul (18ème épisode), puis l'action se déplacera de Pointe Lunga à Guadalcanal, à la bataille des îles Marianne en été 1944, où sera pris au japonais l'île de Tinian d'où partira l'Enola Gay le 6 août 1945 (19ème et 20ème épisode), la bataille du Golfe de Leyte aux Philippines, du 23 au 27 octobre 1944 (21ème et 22ème épisode), puis le 8 juin 1944, le général Kuribayashi Tadamichi est appelé à défendre Iwo Jima alias l'Île du Souffre dans l'archipel d'Ogasawara, ce qu'il fera jusqu'en mars 1945, ce faisant seppuku après sa défaite (23ème épisode). A cet égard, Clint Eastwood travaille actuellement à la réalisation d'un film retraçant les évènements historiques s'étant déroulés à Iwo Jima. Puis enfin, le 24ème épisode s'attardait sur la fin de la flotte japonaise et du cuirassé Yamato en avril 1945.
Il y eu un 26ème épisode, le 25 septembre 1971, mais bien qu'il fut inclus dans la programmation, il n'avait que peu de rapport avec la série puisqu'il mettait en scène un célèbre joueur de base-ball, Kawakami Osamu Satoru, qui officia avant guerre pour l'équipe des Tôkyô Giants et après guerre pour les Yomiuri Giants, qui est en fait la même et célèbre équipe qui a changé de nom et qui officie depuis 1934 au fameux stade du Tôkyô Dome.

Animentary - Ketsudan

La nomination du titre principal de la série Ketsudan / Décision, est des plus intéressante et résume avec précision ce qui était au coeur du conflit. En effet, tous les choix, toutes les tactiques militaires, les moindres mouvements ou autres faits et gestes de milliers de soldats de part et d'autre, n'étaient le fait que de décisions de quelques hommes. Cela souligne parfaitement dans les grandes lignes, que ce n'était donc pas les forces allouées à combattre qui étaient la clé de la victoire, mais bien les tactiques utilisées. A cet égard, la série met en scène les militaires recherchant les stratégies à adopter, réfléchissant sur leurs portées et leurs éventuels résultats.

Comme nous sommes ici face à une oeuvre télévisée, on ne peut nier l'effet pictural sur un tel sujet. Effet qui ne peut tendre par définition, qu'à rendre esthétique un tel univers, comme le fait la plupart des films de guerre. Car si le fond se veut assimilable à un documentaire, l'image créée ne peut qu'être magnifiée, au contraire d'un véritable documentaire qui ne montre qu'une suite d'images réelles, sans volonté artistique voulue ou prononcée. C'est donc la Tatsunoko qui se chargea de la partie graphique avec au character design Yoshida Tatsuo (Speed Racer, Demetan, Gatchaman) et à la direction de l'animation Miyamoto Sadao (Prince Saphir, Gatchaman). Pour les nombreuses apparitions d'armements, avions, bâtiments de la marine, tank et autres merveilleuses inventions de destruction, quelques designer en mécanique opérèrent : Akiyoshi Fumio, Arimoto Hidemitsu, Kiuchi Ichiro, Ikeda Ken. L'animation était tout de même plus limitée que la moyenne des séries qui lui était contemporaine. C'était un choix qui n'enlevait en rien la qualité de réalisation, à la fois sobre, mais aussi plus démonstrative lors des combats. Tout cela fut orchestré par Ippei Kuri à la direction des opérations et Yoshida Kenji à la production. Pour de ce qui était des scénarii et des transpositions historiques, chaque partie était supervisée par l'écrivain, historien et spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, Kojima Noboru (1927-2001). Le tout était artistiquement mis en valeur par Ioka Masahiro que l'on connaît pour avoir oeuvré sur des univers très différents comme Heidi avec Takahata Isao, ou de nombreuses séries de la Nippon Animation comme Flo et les Robinson suisses ou Akage no Anne, trois oeuvres où officiait également le regretté Murata Kôichi, disparu le 7 novembre 2006 à l'âge de 67 ans, et qui avait créé le studio Ô Production une année avant la diffusion d'Animentary - Ketsudan. Ioka était accompagné par Nakamura Mitsuki  (Judo Boy, Demetan, Nausicaä) et Arai Torao (Judo Boy, Lamu, Gigi). La musique était également importante. Elle fut composée par Koshibe Nobuyoshi (Speed Racer, Judo Boy, Demetan) qui reprendra et utilisera également des chants militaires.

En juin 2005, pour marquer le 60ème anniversaire de la fin du conflit, cette série âgée de 34 années eu les honneurs d'une sortie DVD.

Animentary - Ketsudan

Il faut souligner encore que cette série, au contraire de certains "travaux" plus récents sous forme de manga, n'était en rien révisionniste, mais se basait respectueusement sur les faits historiques. Le terme révisionniste qui signifie : nier des évènements qui se sont déroulés ou nier la façon dont se sont déroulés certains évènements, n'a que peu de rapport avec l'Histoire, dans le contexte scientifique du terme. Mais, il faut ajouter que l'Histoire de la Seconde Guerre mondiale que nous connaissions il y a 20 ans, n'est plus là même que celle que l'on relate actuellement. L'Histoire est une perpétuelle redécouverte, tout comme le sont une grande partie des sciences. Ainsi, pour exemple, pour certains japonais, le sentiment que leur pays n'a pas perdu la guerre n'est en rien révisionniste, même si cela peu paraître des plus absurde et l'est pour ceux qui en ont souffert, mais peu s'expliquer assez simplement de la manière suivante. Un voleur ayant amassé un butin des plus considérable, le cache avant de se faire arrêter. Il purge sa peine de prison, puis à sa libération, il va sans problème récupérer son butin. C'est ce qui c'est passé avec le Japon. A la petite différence que le trésor de guerre japonais récolté sur les divers pays du continent n'a jamais été restitué à ses possesseurs, mais fut en partie partagé en commun accord avec les Etats-Unis d'Amérique qui reconnaissent depuis peu, l'avoir utilisé pour subventionner la Guerre Froide.


Les cathédrales de l'industrie

S'il est désormais possible de posséder et de visionner cette oeuvre dans l'hexagone via l'import, on notera toutefois que le public français avait déjà eu connaissance de quelques scènes animées de cette série. En effet, le documentaire Kashima Paradise : Japon, 1970-1971, dont le tournage fut effectué dans les années précitées, puis sorti sur les écrans en octobre 1974 (quand débuta la série Yamato), en proposait quelques extraits. Ce film, réalisé par Yann Le Masson et Bénie Deswarte (sociologue et japonisante), présentait sous les commentaires écrits par Chris Marker (La Jetée, Sans Soleil, A.K.), principalement deux lieux représentant la modernisation du Japon en opposition avec un autre visage de l'Archipel. A savoir, l'immense complexe sidérurgique (Sumitomo) et pétrochimique (Mitsubishi) de Kashima qui se créera en gagnant quelque peu sur la mer, engendrant un nouveau port, et dont les contestations porteront à la fois sur la façon de procéder de cette entreprise ayant acheté aux paysans les terrains qu'ils occupaient, ainsi que la pollution importante qu'elle produira. Puis, à 50km de là, à Narita, l'opposition très forte des paysans se refusant à vendre leurs terres pour permettre la construction d'un immense aéroport international. Tous cela imbriqué dans les différents mouvements politiques, les manifestations contre le renouvellement du Traité nippo-américain (dont le cinéma se fera l'écho à l'époque, avec par exemple Sex Jack de Wakamatsu Koji), ainsi que la notion de Giri, étant comme le monstre de métal de Kashima, aussi inflexible.

La scène où l'on peut voir quelques images de la série Animentary - Ketsudan pourrait sembler anodine, mais elle semble au vue du sujet de l'anime souligner la violence qui se dégagera de certaines manifestations, surtout à Narita. Cette scène arrive après les quinze premières minutes de prises de vues très bruyantes. En effet, quittant la ville, nous nous retrouvons au paisible village de Takei, dans la résidence de Zenzaemon, un homme ayant repris la ferme dont s'occupait avant lui son père. On apprendra sa difficulté à produire une récolte faites entre autre de riz, d'orge et de blé, face à l'influence du complexe industriel de Kashima, situé à 15km de là. On notera que le téléviseur reste allumé pendant le tournage de ces scènes, comme si sa lumière dispensait un apport d'éclairage telle une lanterne, pour combler peut-être également un certain vide.

Animentary - Ketsudan

Toujours à l'intérieur du poste de télévision filmé, les réalisateurs laisseront passer deux publicités avec un acteur, et non des moindres, Mifune Toshirô. Celui-ci ventait les qualités de la bière de Sapporo. Ces publicités ouvraient et fermaient l'extrait de l'anime. Peut-être de la part des auteurs y avait-il quelque ironie à cet endroit, même si le fait est depuis toujours assez courant dans le monde du cinéma. Mais pour un oeil occidental de l'époque, qui n'aurait vu seulement que les prestations artistiques de l'acteur, cela aurait peut-être légèrement terni l'éclat d'un artiste représentant une sorte d'idéal. Il faut souligner également que pour Mifune Toshirô, une certaine modernisation avait alors agit sur son métier. Il ne tournait plus avec Kurosawa et sa carrière à l'occidentale avait un moindre succès dans ces années de changements.

On pouvait voir également dans le documentaire, pendant la manifestation du 1er mai au début du film, suivant la visite de l'Exposition Universelle, une bannière à l'effigie de Joe Yabuki de Ashita no Joe. Celui-ci était un personnage ayant fortement marqué la jeunesse de l'époque, et encore plus avec son adaptation en série d'animation à partir de 1970. Son image fut alors quelque peu détourné par certains, comme un support à quelques slogans politiques et idéalistes.
Un phénomène assez similaire avait également eu lieu en France en 1969, suite à la diffusion du feuilleton télévisée de Jacquou le Croquant, réalisée par Stellio Lorenzi, adaptant le roman de Eugène Le Roy. Ce personnage qui se révoltera 30 ans après la Révolution Française, contre les injustices que cette dernière n'avait en rien changées, inspirera les manifestations paysannes de l'époque, et dont les acteurs se réclamaient être des Jacquou, avec des slogans tels que Jacquou n'est pas mort. Manifestations parfois très violentes qui avaient commencé au début des années 60 et qui avaient opposé agriculteurs et CRS, comme à Quimper en 1967. La source de ses manifestations était la même qu'à Kashima, à savoir la modernisation, où plutôt une modernisation aveugle qui ne prenait pas en compte ce qui existait déjà.
Deux ans plus tard, en 1971, pendant que Animentary - Ketsudan diffusait ses images sur les petits écrans japonais, un autre feuilleton de la télévision française se rappelait aux bons souvenirs d'une autre guerre, celle des tranchées. La Maison des Bois de Maurice Pialat s'inscrivait comme Jacquou dans le monde de l'enfance, également avec une forte sensibilité, bien qu'il différait tout de même dans l'élaboration et la conception de sa mise en scène.

Le documentaire Kashima Paradise montre ainsi, quelque peu, que l'image médiatique avait un rôle important dans ces évènements, surtout à Narita ou la violence présente fut couverte par les chaînes de télévision. Aussi, dès le début du film, les images nous montrent quelques lieux filmés à l'Exposition Universelle d'Osaka de 1970. Cette dernière tournée vers le futur jouait beaucoup sur les images perçues par le public, que ce soit pour certaines représentations idéalisées, quelques effets spéciaux, couverts par un commentaire rassurant et promettant un futur radieux grâce à son industrie.

La modernisation du Japon d'alors était peut être assimilée pour certains, comme un conflit déstabilisant les fondations de leur vie, comme la guerre le fut 25 ans plus tôt. A cet égard, à Narita, certains chants de combattants se feront entendre. On notera également, comme ce fut le cas ailleurs, que Kashima transforma les villages alentour en une agglomération de plus de 200 000 habitants en trois décennies, balayant quelque peu les différentes activités économiques en une seule, celle du complexe. Tout comme pendant la guerre, les paysans ont encore perdu et les grands industriels ont malgré tout réussit à s'imposer.
Alors que les manifestations contre la pollution se faisaient entendre en 1971, quinze ans après les premières victimes de Minamata, premier lieu de pollution au Japon (dont on verra dans le documentaire quelques contaminés), la même année, un certain Spectreman combattait sur le petit écran les monstres nés de cette pollution...


Jacques Romero (décembre 2006)

© Tatsunoko, P Production

En exorde de cet article figure un chant militaire dont la traduction est empruntée à Delphine Gesland pour le documentaire Kashima Paradise.

Le titre du chapitre Les Cathédrales de l'industrie est emprunté à Gabriel Yacoub sur l'album éponyme de Malicorne (1987).

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