Parmi les origines du style manga, l'une des plus prépondérantes est sans conteste l'Art nouveau, lui même fortement influencé par l'estampe japonaise, l'Ukiyo-e, qui puise son inspiration et ses sujets dans le monde du plaisir (geisha et kabuki), la vie quotidienne, la nature, la mythologie, ou en s'adonnant à des pastiches de toiles célèbres.
Nombre de mangakas ont été influencés par le style Art nouveau, et Leiji MATSUMOTO ne faillit pas à la règle.
Origines et caractéristiques de l'Art nouveau
Le mouvement commence dans les années 1890 et se prolonge jusqu'en 1910. Il touche de nombreuses disciplines : illustration, joaillerie, couverts, meubles et surtout l'architecture. L'Art nouveau a pour objectif de prendre le contre-pied des arts du XIXe siècle qui s'inspiraient du passé.Le courant est tellement « nouveau » qu'il reçoit un nom au moins par pays (Modern Style, Jugendstil), et souvent celui de l'artiste qui l'amène.
Les maisons de l'Art nouveau portent très souvent le nom de leur architecte, comme s'il s'agissait de pièces extraordinaires, uniques, en aucun cas d'un style. Les diverses expressions de l'Art nouveau varient ainsi selon les particularismes nationaux et les tempéraments des artistes.
Que ce soit style nouille, style anguille, style coup de fouet, style fin de siècle, style MUCHA, style GUIMARD, GAUDI ou TIFFANY style, une chose est claire : la difficulté des braves gens de 1900 à appréhender ce mouvement est en elle-même la preuve de la rupture qu'il représente avec le Beaux-Arts Classicisme qui le précède. L'Art nouveau tend en effet à abolir les frontières entre arts graphiques et art libéraux. Il englobe aussi bien la céramique, le mobilier, la joaillerie et l'affiche, que la sculpture, l'architecture et la peinture.
Tout le secret de l'Art nouveau réside dans la courbe. La courbe est végétale, sans cesse renouvelée et jamais achevée. Courbe féminine aussi, que ce soit dans l'espace ou simplement dans les marges des pages ou dans les cheveux des femmes d'Alphonse MUCHA. Inspirées par la nature et par la femme (sa pureté mais aussi sa luxure), les courbes de l'Art nouveau sont asymétriques mais utilisent la répétition similaire mais pas identique, font entrevoir l'idée de fractale et surtout celle d'un développement propre à la vie végétale. GAUDI et GUIMARD forgent le fer pour dessiner des formes extraordinairement courbes (jugées obscènes par certains). Car en prônant l'Art Intégral, c'est aussi la réconciliation entre Arts appliqués, traditionnellement masculins, scientifiques, et Arts décoratifs, féminins, destinés à la beauté pure.
L'influence de Mucha dans l'œuvre de Leiji Matsumoto
Pour les Japonais, l'artiste le plus représentatif de l'Art nouveau semble être MUCHA, auquel une grande rétrospective fut consacrée à Tokyo dès 1983. Dès 1900, plusieurs de ses affiches sont d'ailleurs redessinées pour faire la couverture de magasines d'art japonais. Curieusement, Alphonse MUCHA leur apparaît comme un artiste représentatif de l'art occidental, alors qu'il s'inspire directement de l'Ukiyo-e.
L'influence de MUCHA sur les artistes japonais fut sans douté déterminée par l'exubérance de ses arabesques, ses courbes élancées qui rappellent le tracé curviligne des estampes. A la fascination des Européens de la Belle Epoque pour l'Ukiyo-e répond la fascination des Japonais pour l'Art nouveau.
La figure élancée à l'immense chevelure blonde, caractéristique des héroïnes de MATSUMOTO, vient d'un film franco-germanique de Julien DUVIVIER, Marianne de ma jeunesse, réalisé en 1954, qui a fortement influencé le mangaka. Sa jeune interprète, Marianne HOLD, est la personnification même de la femme telle qu'il la représente.
Malgré cette influence revendiquée, et même s'il est vrai que Leiji affectionne dans ses animes les héroïnes longilignes à l'aspect fragile et délicat, il ne faut pas oublier que certaines de ses héroïnes de manga sont autrement plantureuses et arborent les courbes généreuse caractéristiques de l'Art nouveau tel que représenté par MUCHA. MATSUMOTO a donc lui aussi été touché par l'œuvre de MUCHA.
Dans l'œuvre de MUCHA, une flore luxuriante s'inscrit dans un motif décoratif et vient s'enrouler sensuellement autour de la femme. Il n'est d'ailleurs pas rare de voir la chevelure se confondre avec les ornements végétaux. On retrouve cet aspect dans certaines œuvres de Leiji, notamment dans le manga The Insecters, où des jeunes femmes sensuelles s'offrent à nos yeux dans un environnement végétal. On peut avancer que chez MATSUMOTO cette communion entre le végétal et le féminin atteint son paroxysme avec les personnages des Mazones, ces « femmes végétales ».
Ces illustrations de MATSUMOTO nous montrent de sublimes créatures aux formes généreuses et dépourvues pour deux d'entre elles de la longue chevelure blonde qui stigmatise généralement les héroïnes de Leiji. A noter également, la confusion entre les cheveux et l'environnement végétal, fréquente chez MUCHA.
Langoureuse, radieuse et toute en courbes, la femme de MUCHA, parée de bijoux riches et chargés, est drapée dans une robe aux plis ornementaux. Une chevelure savante aux volutes nombreuses et complexes encadre son visage ; chez MUCHA, une chevelure longue et abondante est d'ailleurs un atout primordial de féminité et de séduction, qui surclasse tous les autres. Un trait de contour plus épais souligne sa silhouette en la détachant des motifs végétaux. Souvent, un arceau ou une auréole forment un cadre autour de son corps.
Chez Leiji MATSUMOTO, on retrouve l'aspect ornemental du vêtement. Sennen Joô dans Queen Millenia, Meeme dans Captain Harlock, Harlock Saga et Endless Odyssey, Mellow dans DNA-Signt 9999, entre autres, arborent toutes de longues robes à la texture fluide, mettant en valeur leurs silhouettes longilignes. Chez Emeraldas et Maetel, la cape et le long manteau se substituent à la robe mais permettent d'autant plus cet effet « drapé » typique des représentations de MUCHA.
L'opulente chevelure aux volutes multiples est certainement le point le plus évident et le plus caractéristique des similitudes existant entre l'Art nouveau et les œuvres de MATSUMOTO, et par là même l'aspect le plus flagrant de l'influence de MUCHA. Leiji se démarque toutefois quelque peu de son inspirateur en affichant une préférence marquée pour les chevelures blondes. Aurora dans Starzinger, Shinunora dans Gun Frontier, Sennen Joô dans Queen Millenia, Maetel dans Galaxy Express, Emeraldas, Meeme, Stella dans Interstella 5555, Ze Strait dans Submarine Super 99, pour ne citer qu'elles, ont toutes en commun une abondante chevelure aux mèches fines et aériennes qui leur confère cet aspect sensuel caractéristique des femmes de l'Art nouveau.
a représentation typique des cheveux par MUCHA (à gauche, Sarah Bernhardt), qui a valu à l'Art nouveau le surnom de « style nouille », se retrouve tout particulièrement dans cette illustration de MATSUMOTO. La chevelure se décompose en de nombreuses mèches et volutes chatoyantes, et sa répartition a été savamment imaginée par le mangaka.
On retrouve cet aspect aussi bien dans les mangas de MATSUMOTO que dans ses animes (ci dessous, à gauche et au centre, Yamato et Queen Millenia).
Leiji MATSUMOTO, comme nombre des ses confrères, a ainsi été lui aussi fortement influencé par l'Art nouveau, et de nombreux aspects caractéristiques des œuvres d'Alphonse MUCHA se retrouvent dans les travaux du mangaka.
~ Article issu du projet de Webzine Eternal Arcadia ~
Le projet n'ayant malheureusement pas pu être finalisé, les articles rédigés en 2004 pour ce Webzine ont été intégrés aux sites du Webring LEIJI francophone :
>> Animographie de KOMATSUBARA Kazuo par Captain Jack (version enrichie en 2006)
>> Mon nom est "Personne" - parallèle entre le capitaine Nemo et Albator par Captain Marzhin
>> La mythologie celtique dans l'œuvre de Leiji Matsumoto par Captain Marzhin
>> Leiji et l'Art nouveau par CPZ