L'Univers
de Yamato
Les influences de Leiji Matsumoto (page 5 sur 5): Leiji et l'Art nouveau

Parmi les origines du style manga, l'une des plus prépondérantes est sans conteste l'Art nouveau, lui même fortement influencé par l'estampe japonaise, l'Ukiyo-e, qui puise son inspiration et ses sujets dans le monde du plaisir (geisha et kabuki), la vie quotidienne, la nature, la mythologie, ou en s'adonnant à des pastiches de toiles célèbres.
Nombre de mangakas ont été influencés par le style Art nouveau, et Leiji MATSUMOTO ne faillit pas à la règle.


Origines et caractéristiques de l'Art nouveau

Le mouvement commence dans les années 1890 et se prolonge jusqu'en 1910. Il touche de nombreuses disciplines : illustration, joaillerie, couverts, meubles et surtout l'architecture. L'Art nouveau a pour objectif de prendre le contre-pied des arts du XIXe siècle qui s'inspiraient du passé.
Un des précurseurs de ce mouvement est l'Anglais Willliam MORIS (1834-1896), qui disparaît au moment où l'Art nouveau devient international. Il est le promoteur d'une série d'idées qui se nourrissent du Moyen Age, époque durant laquelle l'art et l'artisanat sont étroitement liés ; l'artiste intervient dans plusieurs domaines (illustration, décoration, etc.), l'art doit être pour tous et non plus pour une élite. L'art doit également rendre l'utilitaire agréable. Une autre idée reprise par l'Art nouveau vient de Eugène VIOLLET-LE-DUC (1814-1879), généralement désigné comme le promoteur du Néogothique, pour qui les éléments structurels d'une construction doivent participer à la décoration. On peut aussi citer l'architecture victorienne, dans le style précurseur. Enfin, une influence moindre est celle de l'art traditionnel japonais dans ses minimalismes, ses contrastes blanc/noir, ses traits fluides, ses jeux de courbes et de contre-courbes. Dans de nombreuses courbes, en imitant la nature, le travail du bois, l'Art nouveau ressemble aussi parfois aux formes traditionnelles celtes ou irlandaises, voire aux formes attribuées à l'art elfe chez TOLKIEN. Malgré son désir de rupture avec le passé, l'Art nouveau n'est donc pas fondamentalement innovateur dans tous ces designs.
On peut distinguer deux courants dans l'Art nouveau : un Art nouveau exubérant, avec des décors foisonnants (HORTA, GUIMARD), et un Art nouveau plus épuré, avec des lignes droites, préfigurant ce qui se fera plus tard (MACKINTOSH, Frank Lloyd WRIGHT).

Le courant est tellement « nouveau » qu'il reçoit un nom au moins par pays (Modern Style, Jugendstil), et souvent celui de l'artiste qui l'amène. L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto Les maisons de l'Art nouveau portent très souvent le nom de leur architecte, comme s'il s'agissait de pièces extraordinaires, uniques, en aucun cas d'un style. Les diverses expressions de l'Art nouveau varient ainsi selon les particularismes nationaux et les tempéraments des artistes.
Que ce soit style nouille, style anguille, style coup de fouet, style fin de siècle, style MUCHA, style GUIMARD, GAUDI ou TIFFANY style, une chose est claire : la difficulté des braves gens de 1900 à appréhender ce mouvement est en elle-même la preuve de la rupture qu'il représente avec le Beaux-Arts Classicisme qui le précède. L'Art nouveau tend en effet à abolir les frontières entre arts graphiques et art libéraux. Il englobe aussi bien la céramique, le mobilier, la joaillerie et l'affiche, que la sculpture, l'architecture et la peinture.

Tout le secret de l'Art nouveau réside dans la courbe. La courbe est végétale, sans cesse renouvelée et jamais achevée. Courbe féminine aussi, que ce soit dans l'espace ou simplement dans les marges des pages ou dans les cheveux des femmes d'Alphonse MUCHA. Inspirées par la nature et par la femme (sa pureté mais aussi sa luxure), les courbes de l'Art nouveau sont asymétriques mais utilisent la répétition similaire mais pas identique, font entrevoir l'idée de fractale et surtout celle d'un développement propre à la vie végétale. GAUDI et GUIMARD forgent le fer pour dessiner des formes extraordinairement courbes (jugées obscènes par certains). Car en prônant l'Art Intégral, c'est aussi la réconciliation entre Arts appliqués, traditionnellement masculins, scientifiques, et Arts décoratifs, féminins, destinés à la beauté pure.


L'influence de Mucha dans l'œuvre de Leiji Matsumoto

Pour les Japonais, l'artiste le plus représentatif de l'Art nouveau semble être MUCHA, auquel une grande rétrospective fut consacrée à Tokyo dès 1983. Dès 1900, plusieurs de ses affiches sont d'ailleurs redessinées pour faire la couverture de magasines d'art japonais. Curieusement, Alphonse MUCHA leur apparaît comme un artiste représentatif de l'art occidental, alors qu'il s'inspire directement de l'Ukiyo-e.
L'influence de MUCHA sur les artistes japonais fut sans douté déterminée par l'exubérance de ses arabesques, ses courbes élancées qui rappellent le tracé curviligne des estampes. A la fascination des Européens de la Belle Epoque pour l'Ukiyo-e répond la fascination des Japonais pour l'Art nouveau.

La légende veut que MUCHA devînt célèbre du jour au lendemain grâce à la commande improvisée d'une affiche pour Sarah BERNHARDT, qu'il réalisée en une nuit. Surtout reconnu pour ses talents d'affichistes et pour ses panneaux décoratifs, MUCHA fut également un illustrateur à succès. Une grande partie de ses œuvres est constituée de panneaux rectangulaires verticaux, lui permettant de faire figurer la femme, sujet central de son œuvre, en pied et au centre du tableau. Beaucoup moins contraignantes que les affiches, les séries de panneaux décoratifs pour paravents permettent à MUCHA de laisser libre cours à son imagination. Ces peintures, couplées par deux ou quatre, représentent généralement des personnifications des notions comme les Quatre Saisons, les fleurs, les Arts, les Fruits, etc. En outre, MUCHA a réalisé des décors de théâtre, des bijoux en collaboration avec FOUQUET, des meubles et toutes sortes de décorations. Comme d'autres artistes de l'époque, MUCHA souhaitait réaliser une « œuvre d'art totale ».

La figure élancée à l'immense chevelure blonde, caractéristique des héroïnes de MATSUMOTO, vient d'un film franco-germanique de Julien DUVIVIER, Marianne de ma jeunesse, réalisé en 1954, qui a fortement influencé le mangaka. Sa jeune interprète, Marianne HOLD, est la personnification même de la femme telle qu'il la représente.
Malgré cette influence revendiquée, et même s'il est vrai que Leiji affectionne dans ses animes les héroïnes longilignes à l'aspect fragile et délicat, il ne faut pas oublier que certaines de ses héroïnes de manga sont autrement plantureuses et arborent les courbes généreuse caractéristiques de l'Art nouveau tel que représenté par MUCHA. MATSUMOTO a donc lui aussi été touché par l'œuvre de MUCHA.
Dans l'œuvre de MUCHA, une flore luxuriante s'inscrit dans un motif décoratif et vient s'enrouler sensuellement autour de la femme. Il n'est d'ailleurs pas rare de voir la chevelure se confondre avec les ornements végétaux. On retrouve cet aspect dans certaines œuvres de Leiji, notamment dans le manga The Insecters, où des jeunes femmes sensuelles s'offrent à nos yeux dans un environnement végétal. On peut avancer que chez MATSUMOTO cette communion entre le végétal et le féminin atteint son paroxysme avec les personnages des Mazones, ces « femmes végétales ».

L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto

Ces illustrations de MATSUMOTO nous montrent de sublimes créatures aux formes généreuses et dépourvues pour deux d'entre elles de la longue chevelure blonde qui stigmatise généralement les héroïnes de Leiji. A noter également, la confusion entre les cheveux et l'environnement végétal, fréquente chez MUCHA.

Langoureuse, radieuse et toute en courbes, la femme de MUCHA, parée de bijoux riches et chargés, est drapée dans une robe aux plis ornementaux. Une chevelure savante aux volutes nombreuses et complexes encadre son visage ; chez MUCHA, une chevelure longue et abondante est d'ailleurs un atout primordial de féminité et de séduction, qui surclasse tous les autres. Un trait de contour plus épais souligne sa silhouette en la détachant des motifs végétaux. Souvent, un arceau ou une auréole forment un cadre autour de son corps.
Chez Leiji MATSUMOTO, on retrouve l'aspect ornemental du vêtement. Sennen Joô dans Queen Millenia, Meeme dans Captain Harlock, Harlock Saga et Endless Odyssey, Mellow dans DNA-Signt 9999, entre autres, arborent toutes de longues robes à la texture fluide, mettant en valeur leurs silhouettes longilignes. Chez Emeraldas et Maetel, la cape et le long manteau se substituent à la robe mais permettent d'autant plus cet effet « drapé » typique des représentations de MUCHA.

L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto
On retrouve dans ces illustrations de MATSUMOTO les courbes chères à MUCHA et à l'Art nouveau.

L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto
Exemple de drapé par MUCHA (à gauche). Les longues robes se retrouvent aussi dans l'univers de MATSUMOTO (ci-contre, Mellow dans DNA-Sight 9999), parfois remplacées chez certaines héroïnes par une cape ample aux plis multiples (ci dessous, Emeraldas dans Cosmowarrior Zero et Queen Emeraldas).

L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto

L'opulente chevelure aux volutes multiples est certainement le point le plus évident et le plus caractéristique des similitudes existant entre l'Art nouveau et les œuvres de MATSUMOTO, et par là même l'aspect le plus flagrant de l'influence de MUCHA. Leiji se démarque toutefois quelque peu de son inspirateur en affichant une préférence marquée pour les chevelures blondes. Aurora dans Starzinger, Shinunora dans Gun Frontier, Sennen Joô dans Queen Millenia, Maetel dans Galaxy Express, Emeraldas, Meeme, Stella dans Interstella 5555, Ze Strait dans Submarine Super 99, pour ne citer qu'elles, ont toutes en commun une abondante chevelure aux mèches fines et aériennes qui leur confère cet aspect sensuel caractéristique des femmes de l'Art nouveau.

L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto

a représentation typique des cheveux par MUCHA (à gauche, Sarah Bernhardt), qui a valu à l'Art nouveau le surnom de « style nouille », se retrouve tout particulièrement dans cette illustration de MATSUMOTO. La chevelure se décompose en de nombreuses mèches et volutes chatoyantes, et sa répartition a été savamment imaginée par le mangaka.
On retrouve cet aspect aussi bien dans les mangas de MATSUMOTO que dans ses animes (ci dessous, à gauche et au centre, Yamato et Queen Millenia).


L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto L'influence de Mucha dans l'oeuvre de Leiji Matsumoto

Leiji MATSUMOTO, comme nombre des ses confrères, a ainsi été lui aussi fortement influencé par l'Art nouveau, et de nombreux aspects caractéristiques des œuvres d'Alphonse MUCHA se retrouvent dans les travaux du mangaka.


CPZ (http://leijistudio.free.fr, http://sexywarriorzero.free.fr)

Sources :
Watcha :-)
http://users.swing.be/mucha/art.htm
http://artnouveau.freeservers.com/themes/formes.html
Animeland, hors-séries n°4 et 5 (Leiji Matsumoto, par Diane SUPERBIE et Influences graphiques, par Bounthavy SUVILAY)

~ Article issu du projet de Webzine Eternal Arcadia ~
Eternal Arcadia

Le projet n'ayant malheureusement pas pu être finalisé, les articles rédigés en 2004 pour ce Webzine ont été intégrés aux sites du Webring LEIJI francophone :
>> Animographie de KOMATSUBARA Kazuo par Captain Jack (version enrichie en 2006)
>> Mon nom est "Personne" - parallèle entre le capitaine Nemo et Albator par Captain Marzhin
>> La mythologie celtique dans l'œuvre de Leiji Matsumoto par Captain Marzhin
>> Leiji et l'Art nouveau par CPZ


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